Revue de presse de 1922

Il y a pile un siècle, le musée d'Albi inaugurait en grande pompe la galerie et les salles dédiées à Henri de Toulouse-Lautrec. Plusieurs journaux et revues ont couvert l'événement, profitant de celui-ci pour saluer l'artiste albigeois mort vingt ans auparavant.
Revue de presse de 1922

Une des salles consacrée à Toulouse-Lautrec ouverte en juillet 1922.

L’historien du plaisir de Paris

« Il nous a paru toujours spirituel, charmant sans méchanceté aucune, malgré sa difformité physique et toutes les raisons qu’il avait de maudire le sort. Il garda jusqu’à la fin une bonne humeur parfaite. Seulement, il voyait clair, et là où d’autres trouvaient des prétextes à enguirlander les plaies, il les exhibait, lui, telles qu’elles étaient. Il y a de la chirurgie dans l’art de Lautrec, et l’on pourrait encore oser, à son propos, la comparaison trop usinée, du crayon et du scalpel. (…) Il y avait de la fatalité dans ses habitudes d’existence, et le malheureux garçon, désespéré et cachant son désespoir, se condamna lui-même à ce noctambulisme errant à travers la mise en scène des distractions parisiennes. (…) Comme il avait l’esprit vif, une très nette appréciation des choses, il ne se plaignit pas, sachant que c’était inutile, et se réjouit de pouvoir prendre place, d’une manière quelconque, dans la mêlée humaine. De plus il se trouva tout disposé, dans sa disgrâce, à admirer n’importe quels ébats physiques de l’animal humain. Et encore, comme il était artistené, et qu’il fut surtout un artiste, il s’empara de cette région où il pouvait pénétrer en prenant un billet au guichet, et c’est ainsi qu’il devint un historien des théâtres, des cafés-concerts, des cirques, des bals, des bars. (…) Il fut d’ailleurs, chaque fois que l’occasion s’en présenta, un savant et véridique portraitiste, apte à saisir toutes les nuances psychologiques d’une physionomie d’homme ou de femme. En résumé, Lautrec est un artiste et un historien du plaisir de Paris, sous toutes ses formes, même les plus basses. (…) Lautrec fut, à son insu, un moraliste, et l’un des plus terribles qui aient jamais été. » Gustave Geffroy

Le descendant des comtes de Toulouse

« Son extraordinaire silhouette de nain trapu, qu’on voyait se traîner (…) cette grosse tête, ce buste d’homme qui s’était développé normalement sur des jambes de petits enfants (…) il n’attirait pas seulement l’attention par son aspect, il la retenait par son esprit. (…) il s’arrêtait tous les quatre ou cinq pas, regardait un moment autour de lui : ses yeux noirs brillaient, amusés et curieux de tout (…) il ne se mit pas à bavarder, de cette voix forte et mordante que ses amis appelaient « la voix d’or » (…). On savait que ce petit homme portait un grand nom. (…) Il ne souhaitait de considération que pour son talent et pour son oeuvre. (…) Dès l’âge de huit ans, il passait des journées entières à dessiner ; il s’y appliqua de plus en plus, de jour en jour et d’année en année. Ce fut son refuge, sa raison d’être. (…) Il fut de ces rares artistes à qui rien d’humain n’est étranger. » André Rivoire

Les Annales, le 12 août 1922 Le musée d’Albi

« Le grand maître de l’Université et le directeur des Beaux-Arts inauguraient à Albi, ce dernier dimanche, le musée Toulouse Lautrec. (…) Et les boutades, les mots épicés de ce grand seigneur, marquis authentique et prince du crayon (…). Il ne reste plus qu’une oeuvre à laquelle l’école moderne doit beaucoup et le souvenir d’un artiste aussi respectueux de son art que de soi-même (…). Toulouse Lautrec est là tout entier : le peintre l’affichiste, le lithographe, l’étourdissant dessinateur. (…) « il a peint les êtres et les milieux de plaisirs de façon à nous rendre sensibles leur vanité et leur tristesse. » (…) il était comme on peut le voir dans la rotonde du musée albigeois, un dessinateur prodigieux. (…). » Léon Plée

L’Éclair, le 5 février 1922 Un maître

« L’heure de Lautrec a donc sonné. Il faut que ce grand peintre de moeurs fasse son entrée au musée. (…) Lautrec est nécessaire à la gloire du peintre et du Louvre. (…) Lautrec peignait et dessinait comme les plus grands. Il appartient à la plus haute lignée. Au paradis des peintres, je suis sûr que Vittore Pisano le tient en particulière estime, et que M. Ingrès écoute d’une oreille attentive ses propos familiers, Guido Reni ou Le Scieur s’écartent effarouchés. (…) Nul tempérament plus sain, d’un équilibre mieux établi, plus lucide. (…) « Ce que Degas a fait de mieux, c’est Lautrec. » On a loué en lui le sens prodigieux du mouvement et la vertu expressive de son dessin. (…) Lautrec est un être ingénu sans parti prisé. (…) C’était parce qu’il suivait son libre chemin qu’il se trouvait inopinément sur la promenade publique, où il n’était attiré par aucune habitude sociale ni par l’heure de la musique. (…) Et quel portraitiste égal au plus hauts ! (…) C’est un maître, un classique. Sa place est au musée. »

La revue des revues, le 28 octobre 1922

« Il n’est jamais trop tard pour parler d’Henri de Toulouse-Lautrec, et les paroles prononcées, voici quelques semaines, par M. Joyant, l’amateur d’art bien connu, au musée d’Albi, sonneront agréablement aux oreilles de ceux qui aiment les artistes véritables. (…) Les maîtres officiels ne surent pas voir en lui la flamme qui ne meurt pas. (…) Disgracié par la nature, les deux jambes cassées, sa santé physique fut déplorable. Mais de sa santé morale, que dire, sinon que ni l’indifférence, ni l’insolence ne purent l’atteindre : elle reflétait la conscience de l’homme qui savait son génie. (…) Il dessine comme on boit, comme on mange,c’est une fonction naturelle chez lui. (…) Mais à aller de ce train, la vie se brûle, la mécanique humaine se casse (…) ».

L’amateur d’Estampes, le 29 août 1922

« L’inauguration du musée Toulouse Lautrec, à Albi, ville natale de l’artiste, a eu lieu, le dimanche 30 juillet (…) A cette occasion, M. Bérard a prononcé (…) un discours très littéraire dont nous nous plaisons à détacher ces quelques lignes : « On peut dire, sans se mêler de critique d’art, et sans que ce rapprochement implique une classification ni une sentence, que Toulouse Lautrec (…) est un des grands peintres de la vie et des moeurs modernes. (…) Celui-ci excellait à discerner et à traduire le caractère dominant d’une physionomie, la vie propre d’un milieu ou d’un groupe. Et il s’est appliqué à raconter, avec une sorte de hauteur amère, la misère ridicule des hommes vus dans leur amusement. Toulouse- Lautrec a peint les êtres et les milieux de plaisir de façon à nous rendre sensibles à la vanité et la tristesse de bien des divertissements. (…) Pour avoir employé ses dons magnifiques, sa fine et haute intelligence à décrire des scènes, des héros ou des comparses de la comédie humaine, Henri de Toulouse-Lautrec n’a démérité ni de son nom, ni de son origine, ni de sa terre. (…) » L’amateur d’Estampes est une revue créée en décembre 1921. Ce périodique était destiné, non seulement à fédérer ses membres, mais également à servir de relais entre les marchands et les collectionneurs.

Publié le 30 juin 2022