Nicolas Pomarède, directeur de la Nouvelle Fonderie Gillet
Nicolas Pomarède
© Tchiz
Directeur de la Nouvelle Fonderie Gillet, Nicolas Pomarède est de ceux qui ont permis, il y a dix ans, de sauver la plus ancienne entreprise albigeoise. Une grande aventure humaine pour perpétuer ce patrimoine vivant.
Début juin, Nicolas Pomarède revenait d'une virée à vélo de 800 km entre Nevers et la Bretagne. Un beau challenge sportif entre amis qui lui a permis de souffler quelques jours avant de reprendre le chemin de la fonderie. « Je me suis remis au vélo il y a une dizaine d'années, après le cap de la quarantaine. J'ai entraîné dans mon sillon d'autres salariés et nous partons régulièrement sur les routes pour un raid. »
Nicolas s'impose pour cela un entraînement régulier à commencer par un trajet à vélo au moins une fois par semaine pour aller au travail. « Le retour, le soir, vers Carmaux, est un peu raide surtout après une longue journée », reconnaît-il.
À vélo comme au travail, l'homme se donne à fond avec le côté acharné de celui qui ne lâche pas. « Le vélo est une passion, mais aussi un bon exutoire ». On se doute qu'assurer la direction de la Nouvelle Fonderie Gillet n'est pas de tout repos.
La plus vieille fonderie de France
Un regard dans le rétro témoigne du chemin parcouru depuis son arrivée à la fonderie Gillet comme stagiaire à 19 ans et sa nomination comme directeur de la Scop créée en 2014.
« Nous avons hérité d’une fonderie dont l'histoire remonte tout de même à 1687. C'est d’ailleurs la plus vieille fonderie de France. Elle a connu Lapérouse ! », note Nicolas. « Alors quand nous avons appris la volonté de la Ville d'Albi de refaire le socle de la statue du navigateur albigeois, nous n'avons pas hésité ! »
L'exposition photo présentée ces dernières semaines à l'Hôtel Rochegude a rappelé d'ailleurs l'implication des salariés de la fonderie dans cette opération « historique ».
Dans les bureaux de la Nouvelle Fonderie Gillet, Lapérouse s'est depuis invité à la table des projets. Des miniatures de son buste et de sa statue ont été réalisées dans différents formats et la fonderie envisage de concevoir des bas-reliefs ou des médailles à l'effigie de Lapérouse. « Ce genre de projet un peu atypique est toujours intéressant, même s'il ne représente pas notre coeur de métier. » Et de citer par exemple la commande récente de canons anciens pour la reproduction d'un voilier.
Né à Castres en mai 1968, Nicolas ne s'épanouissait pas à l'école. « Il faut croire que le système scolaire n'était décidément pas adapté pour moi. » Il trouve finalement sa voie dans la filière technique et passe un CAP d'ajusteur et de mécanicien entretien à Carmaux. « J'ai toujours aimé la mécanique ; je bricolais souvent. J'étais aussi passionné par l'automobile. »
À vingt ans, le jeune casse-cou participe à des rallyes dans la région. Pour ses quarante ans, il s'est offert pour quelques milliers d'euros une Renault Super Cinq GT Turbo de 1988. « Les années 80 sont pleines de bons souvenirs. Je ne suis pas pour autant nostalgique, mais je prends plaisir à revivre les sensations qu'elles m'ont procuré. »
Le casse-cou devenu directeur
Voilà bientôt 37 ans que Nicolas partage le destin de la fonderie. C'est un peu le hasard qui l'y a conduit en 1987. Comme le jeune homme est un peu une forte tête, ses professeurs le placent en stage à la Fonderie Gillet. « J'ai commencé à l'usinage des pièces. Les conditions étaient dures et je n'étais pas très enthousiaste pour y rester ; mon père n'était pas de cet avis et j'y suis retourné. »
En 1992, Nicolas change de poste et travaille à la maintenance du matériel avant de prendre davantage de responsabilités. « À l'époque, l'entreprise comptait une centaine de personnes contre une trentaine aujourd'hui. »
Attaché à « sa » fonderie, Nicolas assiste, démuni, à son déclin. Premier dépôt de bilan au début des années 2000, liquidation, reprise en 2008, puis à nouveau dépôt de bilan en 2010, liquidation quatre ans plus tard. C'est à ce moment-là que des salariés, dont l'emploi était clairement menacé, décident de prendre leur avenir et leur entreprise en main. Une vingtaine investit ses économies et crée une Société coopérative et participative. La Scop Nouvelle Fonderie Gillet est née.
« Le pari était un peu fou », raconte Nicolas. « Nous n'avions pas choisi la facilité, nous savions qu'il faudrait tenir bon dans la tempête ; nous n'avions pas droit à l'erreur. On a connu des moments difficiles, mais on s'est serré les coudes, on s'est retroussé les manches et on a réussi collectivement comme une équipe de rugby. Nous étions pourtant tous différents, chacun avec son caractère et son tempérament, mais nous avions un même but : sauver notre outil de travail. Certains y ont donné leur corps au sens propre du terme. J'espère que notre expérience pourra servir à d'autres. Nous avons prouvé que c'était possible, mais il fallait y croire au début ! Dix ans plus tard, je ne regrette rien, ça valait le coup. » Le reportage réalisé par France Télévision, qui retrace cette belle aventure, en témoigne.
Esprit d'équipe et philosophie
À son niveau, Nicolas a été en première ligne, en assistant les directeurs de la Scop. « Les espoirs que nous avions mis en eux ont vite été douchés. La situation était critique. Il m'est arrivé de ne rien dire aux autres pour ne pas les décourager. » Les patrons seront finalement remerciés et Nicolas prendra leur suite. « Je dois à mon père de m'avoir transmis le sens du management, l'importance du travail en équipe et de la communication. Personnellement, cela a représenté beaucoup de pression, de travail et de renoncements. J'ai dû aussi apprendre les métiers de la fonderie pour savoir de quoi je parlais aux clients ! »
Aujourd’hui, Nicolas va voir les équipes le matin, s'assure que tout va bien et que les machines sont opérationnelles, échange sur les plannings de production. L'après-midi, c'est la gestion d'entreprise et l'administratif.
« La fonderie, ça forge un homme. On apprend l'humilité, la patience et on relativise. » Les aléas de la vie l'ont rendu un peu philosophe. « À quarante ans, si on n'a pas compris les choses de la vie, c'est mort. »
Dix ans après la création de la Scop, Nicolas est plus serein, même si rien n'est jamais acquis. L'augmentation des coûts de l'énergie et des matières premières, que ce soit l'aluminium, l'étain ou le cuivre, lui a donné quelques sueurs froides. « Il faut toujours se projeter, innover et savoir investir quand il le faut. » Et d'évoquer l'impression 3D de moules en sable qui constitue une petite révolution et permet de gagner des parts de marché et beaucoup de réactivité.
Aujourd'hui, la fonderie cherche à se développer dans d'autres secteurs, le ferroviaire restant le client le plus important. « En prenant le train dernièrement, j'ai aperçu la poignée d'alarme que nous avions réalisée ! » La défense et la lutte contre l'incendie sont aussi des secteurs porteurs. Nicolas pense aussi à la relève. « Il faut savoir s'arrêter au bon moment et passer le relais. Il s'agit juste de trouver la bonne personne pour prendre la suite. Je suis fier de ce que nous avons accompli ensemble depuis dix ans : nous avons sauvé notre boîte. »
■ AM262 - JUILLET/AOÛT 2023
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