Quand Lautrec rencontre Degas

À l’occasion de l’exposition exceptionnelle présentée depuis mai au musée, une interview croisée des deux artistes, Edgar Degas et Henri de Toulouse-Lautrec, a été imaginée par Florence Saragoza, conservatrice en chef du mTL.
Quand Lautrec rencontre Degas

Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Toulouse-Lautrec ?

ED : Sur un air de musique ! J’en suis grand amateur, comme mon père, et si je fréquente l’Opéra, je ne dédaigne pas les concerts intimistes dans les appartements de mes amis musiciens. C’est ainsi que j'ai rencontré Lautrec chez les Dihau : Désiré est basson à l’Opéra et la délicieuse Marie cantatrice…

Et vous, Henri, votre rencontre avec Edgar ?

HTL : Je savais qu’il fréquentait l’Opéra, alors j’ai lié contact avec des musiciens qui le connaissaient. Quels portraits merveilleux en a-t-il faits ! Quelle chance ont les Dihau de les avoir ainsi face à eux tous les jours ! Je ne m’en lasse pas et j’exige de mes amis qu’ils fassent ce même pèlerinage chez les Dihau ! Ça, c’est de l’art ! »

Comment trouvez-vous le travail Toulouse-Lautrec ?

ED : Pas mal, sincèrement, mais bon, je reste le maître ! Je trouve qu’il me copie un peu trop sans avoir, évidemment, mon talent !

Et que pense le disciple du travail de Degas ? En quoi l’a-t-il inspiré ?

HTL : Une révélation ! J'apprécie son rapport au monde du spectacle qui me fascine tout autant ! Je partage son amour du dessin et de la couleur, mais une couleur mate. J’aime ses ambiances fermées. Le plein air, je le réserve désormais à mes escapades à la campagne ou en mer…

Y a-t-il une oeuvre qui vous a interpellé personnellement ?

ED : Aucune ! Si vous voulez un conseil : achetez Charles Maurin plutôt que Lautrec !

HTL : J’aime ses Danseuses, mais le petit rat, ce n’est pas mon truc ! Je préfère les danseuses de quadrille, alors j’ai vite délaissé ce thème pour immortaliser la Goulue ! Si ça c’est pas une femme, je ne m’y connais pas ! J'adore aussi ses Femmes à la toilette. Les femmes sont une source d’inspiration qu’aucun artiste ne pourra épuiser !

Quel regard portez-vous sur la femme, un sujet récurrent pour vous deux ?

ED : Je ne sais pas ! C’est un être étrange, fascinant et effrayant à la fois. Je me suis parfois laissé séduire, mais je n’ai jamais osé me marier… Je ne sais pas si j’aurais trouvé une compagne prête à se plier à mon intransigeance et à mon humeur... et qui aurait compris mon art !

HTL : Elles sont exquises, délicieuses, même ! Et si, en plus, elles sont rousses, alors ce sont des déesses descendues sur Terre ! Quelles créatures magnifiques ! Je ne me lasse pas de tomber amoureux…

Quid des maisons closes, un lieu que vous avez fréquenté pour l'art ?

ED et HTL : Et pas que !

Montmartre est un de vos terrains de jeu favori à tous les deux ; que vous inspire-t-il ?

ED : C’est l’idéal pour y trouver un atelier. C’est un quartier populaire, où résident de nombreux artistes qui rêvent de me rencontrer. Que voulez-vous ? Je suis plutôt un des meilleurs, c’est donc normal ! D’ailleurs, j’en conseille quelques-uns et ce n’est pas pour me déplaire…

HTL : C’est là que j’ai découvert la vie ! Les cabarets, les femmes, les artistes, Bruant ! Valadon, sacrée Valadon ! C’est le coeur de la capitale. Pourquoi croyez-vous que tout le gratin s’y rend le soir venu ?

Aviez-vous des amis communs ?

ED et HTL : Oui, des artistes, musiciens, peintres, graveurs, marchands…

ED : Moi, je sélectionne mes amis et je tiens à mon intimité et au calme. Plusieurs d’entre eux m’ont parlé de Lautrec et c’est bien pour cela que j’ai accepté de le rencontrer. Il faut reconnaître qu’on ne peut pas passer à côté ! Il est drôle et m’admire, deux qualités que j’apprécie.

Vous connaissez bien Toulouse-Lautrec. Outre la peinture, que savez-vous de lui ?

ED : Il me semble qu’il sort souvent, tard et dans des endroits pas toujours recommandables. Comme moi, il aime les voyages, mais je suis beaucoup moins bateau que lui ! Il fréquente le Jardin des Plantes et s’y amuse comme un fou avec les animaux ! Et puis, il va voir sa « chère maman », il a la chance de l’avoir encore auprès de lui…

Vous connaissez bien Degas. Outre l’art, que diriez-vous de lui ?

HTL : Il aime fréquenter l’opéra, c’est sûr, et les courses ! Il se rend souvent en Normandie chez ses amis les Valpinçon admirer les chevaux de course ! Il va aussi souvent dans les Pyrénées pour le bon air alors que le meilleur, c’est celui des cabarets et des bars ! Ne le répétez pas, mais je crains qu’il soit un peu hypocondriaque !

Quels traits de caractère partagiez-vous ?

ED : Aucun !

HTL : L’amour du dessin et la persévérance, mais je crois surtout un grand sens de l’amitié et un caractère pour le moins trempé !

Vous avez pour la première fois à Albi une exposition qui fait écho à vos travaux. Quel message destiné aux visiteurs pourrait s'en dégager ?

ED : Que, indubitablement, je suis le meilleur !

HTL : Que Degas, c’est du haut niveau, mais que je ne suis pas mal non plus !